Le domaine du dieu ce que nous appelons son sanctuaire (hiéron, téménos), c'est toute l'aire que délimite, en la séparant du monde extérieur, l'enceinte sacrée (périole). Au milieu surgit le temple, maison divine (et non lieu de réunion pour les fidèles); il contient des objets et monuments entourés de la plus religieuse vénération l'Omphalos, le tombeau où reposait le Dyonisos delphique l'autel foyer où brûlait le feu immortel, et dans ses profondeurs, le siège de l'oracle. Les sacrifices ont lieu devant le Temple, son autel extérieur auquel aboutit la Voie Sacrée. Celle ci, qui relie l'esplanade du temple à l'entrée principale du Téménos, est bordée sur tout son parcours d'offrandes monumentales alignées et sérées; leur double haie s'épaissit, se prolonge, empiète de toutes parts sur les terrains avoisinants, et peu à peu c'est une véritable foret de pierre qui envahit le téménos entier. De place en place émergent de petits édifices les Trésors, bâtis par des villes illustres et opulentes pour abriter les dons personnels de leurs citoyens. Le temple en effet ne contenait en principe que les objets indispensables au culte et au fonctionnement de l'oracle: on n'y pouvait conserver que très peu d'ex voto les plus immédiatement utiles et les plus respectés (par leur ancienneté par exemple); tout le reste devait trouver place au dehors: mais bien des dons fragiles, précieux, ou de petites dimensions, n'auraient pu sans danger demeurer en plein air, et c'est dans les trésors qu'ils étaient déposés.
Les offrandes sont de tous les genres et de tous les temps. Avant de tourner à l'exaltation de la fierté nationale, puis, plus tard de dégénérer en moyen de réclame personnelle ou de flagornerie intéressée, l'offrande est essentiellement un témoignage de reconnaissance. On offre aussi au dieu ce qui doit lui servir et lui plaire.
La générosité n'était pas du à la seule gratitude du dieu. Le fait même de remercier le dieu pour un succès affirme ce succès avec éclat. L'ex voto qui le commémore attire les regards; il honore le dieu, mais aussi le peuple donateur.
Dans le Temenos pythique; l'action de grâce retentit souvent comme un chant de guerre.
Apporter une dîme de guerre, c'est assurément faire profiter le dieu d'une victoire, mais aussi proclamer tout haut cette victoire et par la signifier un avertissement aux adversaires.
Dedier c'était à la fois remercier le dieu exalter la patrie, défier les rivaux, insulter aux vaincus.
Une grande cité vient dédier à Delphes, son prestige est en jeu elle retrouve dans le sanctuaire pythique ses adversaires des champs de bataille, représentés par des chefs d'oeuvres qu'il va falloir égaler ou surpasser.
De la guerre à l'art, la rivalité devient émulation.
C'est pourquoi chaque offrande delphique furent de si bonne qualité. Chaque cité envoi à Delphes ce qu'elle a de mieux. Ce quelle sait produire de plus remarquable; la quintessence de son génie.
Car l'offrande doit la représenter elle même et tout entière dans sa pleine personnalité.
De là cette heureuse conséquence que, dans ce sanctuaire panhellénique où toutes les originalités « locales » risquaient de se confondre en un seul éclectisme, les divers « styles » du monde grec se soient au contraire maintenus rigoureusement purs. Et cela est vrai des moindres ex voto comme des plus importants.
La cité confie son offrande à ses meilleurs exécutants. Quand ce sera possible, ils apporteront avec eux jusqu'à la matière -pierre et métal – issu du sol national. Cette matière, ils la traiteront à leurs façon, sans s'inspirer des chefs d’œuvre qui les entourent. C'est chez eux seulement qu'ils mettront à profit les leçons delphiques: ils se hâteront d'user des formules nouvelles, acclimateront innovations et perfectionnements, transposeront selon le goût et l'esprit « local » les exemples attentivement examinés et mûrement médités; le levain recueilli à Delphes fermentera au loin, infusera à la vieille pâte une nouvelle vigueur et de nouveau on viendra à Delphes montrer ce qu'on sait faire et observer ce que font les autres; mais toujours au nom d'un art fièrement indépendant, original, national. Quant aux cités, qui ne pouvaient s'enorgueillir d'une « école » artistique personnelle, elles faisaient appel aux maîtres les plus renommés du monde grec. L'originalité de l'oeuvre est alors celle de l'artiste libre de toutes contraintes n'étant plus le représentant responsable d'aucune formule ni d'aucun particulaisme. Il se livre à son génie propre. Le cas du trésor de Siphnos est à cet égard significatif: deux sculpteurs y ont travaillés côte à côte chacun à sa guise sans rechercher un instant une unité de style où se fussent combinée (et contaminée) leurs deux manières, aux deux faces d'un même bloc d'angle leur rencontre est aussi soudaine qu'un choc.
Delphes devient le microcosme d'une Grèce totale, où se mêle dorisme, ionisme, atticisme....
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